Michael Bohnet

Le ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement (BMZ), qui nous accorde depuis de nombreuses années son soutien financier, a fêté ses quarante ans l’année dernière; nous tenons à marquer cet événement. Le Prof. Dr. Michael Bohnet, chef de division au BMZ, brosse un tableau des défis auxquels devra faire face la politique de développement au 21e siècle, à l’ère de la mondialisation. Le texte suivant est extrait du discours qu’il a prononcé à l’occasion du «Congrès 40 ans du BMZ» le 23 octobre 2001 à Bonn. Les remarques reflètent son opinion personnelle; le texte est tiré de la revue «Kommunikation Global» Volume II/n°23, novembre 2001.

La politique de développement au 21e siècle: potentiels et alternatives d’actions

I.

Toute politique conceptuelle doit être visionnaire. Ceci vaut également pour la politique de développement au 21e siècle que sous-tendent les idéaux suivants: respect des droits humains dans le monde entier, consolidation de la paix, réduction de la pauvreté et de l’inégalité, prévention des famines, solutionnement du problème démographique, lutte contre les causes de l’exode et préservation des bases vitales naturelles. La politique de développement au 21e siècle est un volet politique stratégique de la politique intérieure mondiale. Elle est dans l’intérêt de l’Allemagne, car nous poursuivons des objectifs de politique de paix, de sécurité, de politique économique, sociale et environnementale, et elle s’appuie sur le principe du développement durable. La politique de développement est un effort conjoint entre les activités publiques de développement, la politique commerciale, la politique financière et de réduction de la dette, la politique sociale et environnementale en faveur des pays en développement.

II.

Le terme «mondialisation» désigne un processus d’interdépendance mondiale économique et non économique croissant qui avance à un rythme de plus en plus rapide. J’aimerais distinguer cinq types de mondialisation: économique, sociale, écologique, politique et culturelle. Ces cinq éléments sont étroitement liés, mais la précision analytique impose qu’on les traite séparément.

III.

Si les problèmes se globalisent, la politique doit suivre: elle doit être responsable et créer des structures favorables à l’action à un niveau global. La gestion des défis de la mondialisation, démarche que l’on appelle «gouvernance global» (ordre politique global), consiste à mettre en place des politiques qui réduisent les risques et optimisent les avantages de la mondialisation. La gouvernance globale ne peut contribuer à résoudre les problèmes internationaux qu’à condition

a) de mettre en place des mesures renforçant les pays en développement au sein du système international et

b) de soutenir les pays en développement au niveau national, aux fins d’améliorer leurs conditions de vie, leurs structures et la situation générale.

Ce sont là les grands défis auxquels doit faire face la future politique de développement; elle doit rester réaliste, certes, mais aussi consciente de ses propres limites.

Les principaux instruments de la «gouvernance globale» sont:

a) la création de normes et de valeurs internationales (critères sociaux et environnementaux, droit à la planification familiale, droits des femmes, bonne gouvernance etc.). Ces normes ont été élaborées au cours des conférences mondiales, qui ont joué le rôle de labora­toires et d’ateliers d’apprentissage pour la «gouvernance globale»;

b) la participation à la mise en place de régimes internationaux comme l’OIC et les conventions sur l’environnement.

La mise en place de normes et de régimes internationaux est un élément majeur de la construction de la «gouvernance globale», construction qui peut se faire sur la base des centres régionaux (gouvernance régionale) qui apparaissent déjà dans pratiquement toutes les régions du monde.

Le rôle de la «gouvernance globale» est de protéger les biens publics qui appartiennent à tous, à savoir le climat et la biodiversité mais aussi la paix, la prévention de la pauvreté et des crises économiques, la stabilité économique, sociale et financière et les divers aspects de la sécurité de l’être humain.

IV.

L’élimination progressive des structures et des processus nationaux qui accompagne la mondialisation entraîne un déficit démocratique international. Dans ce vide démocratique, les organisations non gouvernementales peuvent rendre les processus de décision publics et plus transparents mais ne constituent pas une base de légitimation suffisante. Les organisations non gouvernementales ne vont donc jouer qu’un rôle intermédiaire jusqu’à la mise en place définitive de structures législatives et démocratiques internationales, processus qui risque de durer des décennies. Les parlements, eux aussi, peuvent accompagner de manière efficace les processus internationaux de prise de conscience en créant des réseaux interparlementaires ou en élargissant les réseaux en place. On assiste en outre à la formation de réseaux politiques globaux - actuellement déjà au nombre de 60 à 70 - dont le but est de réunir les divers acteurs et de faire le lien entre le secteur public, la société civile et l’économie privée, le plus souvent avec l’aide d’organisations internationales (exemple classique: «World Commission on Dams»).

V.

Participation à l’instauration de l’ordre économique global aux moyens de la politique de développement

Les finances internationales

  1. L’internationalisation de l’économie exige aussi l’internationalisation des recettes fiscales: par exemple à l’aide de l’impôt Tobin sur les chiffres d’affaires en devises, qui renchérirait les transferts de capitaux à court terme tant en termes relatifs (en comparaison des placements à long terme) qu’absolus. Les paradis fiscaux et les acteurs sur les marchés des capitaux font sans cesse pression sur les pays de l’OCDE pour les forcer à réduire les impôts sur le capital et les entreprises, et l’imposition des gros revenus. Cette concurrence fiscale internationale, dont les signes avant-coureurs se font déjà sentir depuis les années 80, a pris une tournure dramatique pendant les années 90, fait remarquer l’OCDE. Alors que la charge fiscale des entreprises et des grosses fortunes diminue, les taux de TVA et les charges communales imposées aux citoyens augmentent. De même, la part de l’impôt sur les salaires et les revenus augmente, alors que la part de l’impôt sur les bénéfices et les fortunes recule, ce qui représente une répartition fiscale de bas en haut. L’impôt Tobin pourrait donc être introduit au nom de l’égalité fiscale: la base fiscale des États disparaît en effet de plus en plus, ce qui implique que le facteur de production le moins mobile (le travail) doit supporter une part fiscale de plus en plus importante (en Europe, la part de l’impôt sur le capital par rapport au revenu fiscal est passé de 50% au début des années 80 à 35% aujourd’hui). L’impôt Tobin par contre touche le facteur de production le plus mobile: le capital à court terme; et les rentrées fiscales qu’il produirait pourraient être utilisées à des fins de développement.
  2. En ce qui concerne la libéralisation des marchés financiers, il faut se concentrer sur la stabilité des systèmes financiers nationaux en portant une attention particulière aux pays en développement: se concentrer sur une instance financière opérationnelle et un minimum de transparence et de bonne gouvernance, qui implique aussi la capacité de réguler les mouvements de capitaux indésirables. La coopération au développement devrait renforcer son appui au développement et à la stabilisation des marchés financiers locaux, mais aussi aux approches de microfinancement.
  3. Les centres financiers offshore (OFC) sont des marchés qui ne requièrent aucun critère de qualité pour avoir l’autorisation de faire des opérations financières et où les impôts sont minimes, pour ne pas dire inexistants. La libéralisation de la circulation des capitaux a fait croître l’importance des 50 OFC actuels. Le manque de réglementations appropriées, le non-respect des critères internationaux et le manque de contrôle efficace dans ces centres sont un potentiel de menace constant pour le système financier international. À elle seule, la masse de capitaux placés et réalisés dans les OFC augmente le risque de contamination en cas de crise. Il importe donc de soutenir la recommandation du Financial Stability Forum, qui demande que les OFC soient contrôlés sous la responsabilité du FMI pour permettre la mise en place de critères internationaux de régulation et de structures de contrôle efficaces. Il faudrait également obliger les OFC à déclarer leurs activités financières à la BRI et, pour rendre plus efficaces les sanctions recommandées, exercer une pression sur les OFC qui refusent de coopérer, notamment la Dominique, le Guatemala, le Liban, les Îles Marshall, Myanmar, Nauru, le Nigeria et Nioué.
  4. L’aide publique au développement se concentrera sur la mise en œuvre du plan d’action contre la pauvreté 2015, car la pauvreté et plus spécialement l’inégalité peuvent être génératrices de violence structurelle. Les priorités thématiques de la politique allemande de développement des prochaines années sont énumérées dans ce programme et n’ont pas besoin d’être répétées ici (entre autres, services sociaux de base: éducation de base, santé de base, planification familiale y compris lutte contre le Sida, alimentation, eau). On trouvera les spécificités régionales dans les programmes régionaux élaborés et publiés récemment par le BMZ (ministère allemand de la Coopération économique et du Développement) pour l’Asie, l’Amérique latine et l’Afrique. En ce qui concerne l’Afrique, le soutien à la Nouvelle Initiative Africaine dans le cadre du G8 revêt une importance particulière. Le G8 a décidé lors du Sommet de Gênes le 21.7.2001, d’arrêter les contenus de ce soutien dans un plan d’action et de les présenter à son prochain sommet en juin 2002.

    Notre coopération au développement se concentrera plus particulièrement sur le monde musulman (Maghreb, Moyen-Orient, Afghanistan, Pakistan, Bangladesh, Indonésie et Philippines). Mais nous devrons aussi tenir suffisamment compte de la difficile situation en Inde (avec 150 millions de musulmans, deuxième pays le plus peuplé du monde après l’Indonésie).

    Nous allons revoir nos programmes régionaux et formuler nos priorités stratégiques en accord avec nos partenaires en mettant l’accent sur les spécificités et les sensibilités culturelles du monde musulman. Au cours des trois dernières années, le monde musulman a reçu environ 30% de l’aide bilatérale; il faudra également renforcer le volume des fonds spéciaux en l’an 2002.

    Sur la base des expériences du Pacte de stabilité en Europe du Sud-Est et dans les pays du Caucase, nous prévoirons également de nouvelles actions dans les États d’Asie centrale (Ouzbékistan, Kazachstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Turkménistan), étant donné les problèmes structurels massifs auxquels sont confrontés ces pays (déficits démocratiques et manque d’esprit réformateur). En tout cas, notre objectif principal restera le même: renforcer l’État de droit et la coopération régionale.

    Il s’agit au fond de consolider les structures publiques opérationnelles et démocratiques, et d’élargir la société civile (renforcement du dialogue en matière de coopération au développement par ­l’intermédiaire des églises, des fondations et des ONG).

    La coopération au développement va de moins en moins se faire sous forme de projets et de plus en plus sous forme de programmes. Les financements intersectoriels et les projets de bonification d’intérêts vont augmenter, plus spécialement pour les nouveaux pays industrialisés. Les partenariats publics et privés (PPP) sont un instrument ­stratégique de la coopération au développement.
  5. La remise de dette est liée à des stratégies de lutte contre la pauvreté («Poverty Reduction Strategy Papers») que les pays élaborent eux-mêmes avec la participation de la société civile. Avec l’évolution positive enregistrée dans les pays pauvres lourdement endettés (remise de dette: 70 milliards de dollars), l’écart - pour ce qui concerne les possibilités de remise de dette - entre ce groupe de pays et les autres pays en développement très endettés s’est agrandi. La dette totale des pays à revenus moyens n’a fait qu’augmenter au cours des dernières années. La thèse selon laquelle ils sont capables de se désendetter de leurs propres forces ne se confirmant pas, l’une des priorités est donc de prévoir des modalités de réduction de leur dette.
  6. En raison des mesures protectionnistes des pays industrialisés, les pays en développement perdent en exportations l’équivalent de ce qu’ils reçoivent en aide au développement (50 milliards de dollars). Il faut donc que les nouvelles négociations de l’OIC tiennent compte des intérêts des pays en développement dans tous les domaines et facilitent leur participation aux structures de l’OIC. Depuis que, lors de la conférence de Bruxelles en mai 2001, l’UE a pu imposer l’exemption de douanes et de quotas pour les importations de tous les produits des pays les moins avancés sur le marché européen (initiative «everything but arms»), d’autres pays industrialisés dont le Japon, le Canada et les États-Unis, ont décidé de faire de même et d’ouvrir leurs marchés. Ces mesures permettraient d’accroître les revenus des exportations des pays les moins développés de 3 milliards de dollars par an.
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